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Je suis Charlie...ou Charlie HEBDO ?

À l’heure du légitime et salvateur refus des amalgames, il me semble nécessaire de différencier le slogan « Je suis Charlie » brandi par la majorité, de « Je suis Charlie Hebdo ». Si dans les premières heures qui ont suivi l’abominable tuerie du mercredi 7 janvier 2015, les deux furent synonymes, très vite le premier a dépassé le second dans une signification qui lui est devenue intrinsèque.

 

Tout d’abord – pour ceux qui n’ont jamais ouvert Charlie Hebdo sauf ce mercredi 14 janvier, rappelons que « Charlie Hebdo », contrairement à une image actuelle, simplifiée et presque gentillette diffusée par les médias (en particulier télévisuels), n’est pas un journal humoristique au sens premier du terme. Les blagues sur les Blondes ou sur Toto ne sont pas le principe du journal. « Charlie Hebdo » est un hebdomadaire journalistique et sociopolitique qui use de l’humour pour dénoncer des états de faits ou de pensées qu’il trouve inadmissibles (souvent à raison) et que les autres médias traitent souvent avec une légèreté presque condamnable, les reléguant à des faits divers d’une neutralité affligeante. « Charlie Hebdo » est un journal engagé, pamphlétiste et satyrique, bien loin d’un humour purement potache.

 

Ce choix les amène à produire des caricatures (mais aussi des textes) pouvant être controversées par certains dans le fond, mais aussi dans la forme. Impossible donc de nier que leurs attaques peuvent choquer, voir blesser certaines personnes dans leurs convictions ou dans leur foi, pouvant juger que leur impertinence dépasse parfois les limites (il est intéressant de voir que cette considération est généralement liée à SES croyances personnelles lorsqu’elles sont ciblées et non à celles des autres…).

La question complexe du respect d’autrui – et particulièrement de leurs croyances — peut se poser et s’opposer au droit démocratique de tout dire. À l’heure où le Respect est une valeur galvaudée, en particulier dans les écoles, le sujet est effectivement complexe et délicat d’accepter de donner un autre exemple. Maintenant peut-on définir les caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo comme de l’irrespect ? Pour en avoir discuté avec des amis musulmans plus que modérés, ils le perçoivent ainsi et sont blessés et insultés dans leur Foi par cette nouvelle Une montrant Mahomet pleurant su Charlie Hebdo. Pour eux, le prophète ne doit pas être représenté ; un dogme qui visiblement n’est pas partagé par tous les musulmans qui eux sont convaincus que le Coran autorise cette représentation (un débat que je suis bien incapable de trancher).

Peut-on y voir un blasphème ? Je dirai tout de même que non, car d’une part et à mon sens, n’est véritable blasphémateur que le croyant qui dénigre sa propre religion et d’autre part (et surtout) que la notion de blasphème est un concept qui me semble désuet et d’un temps où les religions étaient intolérantes et bridaient les esprits pour mieux les contrôler…

 

S’il était évident qu’après l’horrible massacre, la une de Charlie Hebdo allait être une caricature de Mahomet, à la fois en mémoire des leurs qui sont tombés pour des dessins équivalents et pour dire qu’ils ne céderont pas et garderont leur liberté et leur ligne éditoriale, nous pouvons nous demander si cette Une était judicieuse dans le contexte certes d’union, mais aussi tendu du moment. Là aussi, je n’ai pas de réponses, étant très partagé sur le sujet.

Toutefois, je voudrai faire remarquer que les unes de Charlie Hebdo utilisant des icônes religieuses – toutes religions confondues, même si elles sont récurrentes, ne sont pas la majorité des unes de Charlie Hebdo qui traitent de nombreux autres sujets. J’aimerais savoir sur les dix dernières années, soit 520 Une, combien de caricatures concernent ces icônes (je parle d’icônes et pas de chefs ou de représentants religieux humains), et parmi elles combien mettent en scène Mahomet. Je pense qu’il s’agit d’un nombre infime, pas forcément négligeable pour les personnes qui se sentent offensées, mais je veux montrer que Charlie Hebdo ne peut pas non plus se résumer à ce type de propos.

 

Dans un pays heureusement démocratique, il semble donc légitime que les personnes incommodées puissent et aient le droit de réagir de manière proportionnée aux propos de « Charlie Hebdo ». Et je dis bien proportionnée, c'est-à-dire que le choix leur appartient dans le monde civilisé du XXI siècle que nous sommes censés vivre de :

1. Boycotter le journal et de le dénigrer – même sans argumentaire – par oral, blog ou site…

2. Contre argumenter par voie de presse ou tout autre média adapté.

3. Écrire au journal pour signifier son mécontentement ou son désaccord.

4. Se saisir de la justice pour les attaquer en diffamation ou toute autre procédure légale adéquate.

Bien entendu, toute action violente et qui plus est assassine comme cela s’est malheureusement produite, n’est qu’un acte de barbarie inhumain, intolérable, inacceptable et inexcusable.

 

Vu le parti pris de Charlie Hebdo tant dans son fond que dans sa forme, Il est probable que porter le slogan « Je suis Charlie » le dimanche 11, ne signifiait pas pour la grande majorité qu’ils étaient en accord avec la manière Charlie Hebdo, cela allait déjà au-delà.

Le soutien direct à Charlie Hebdo, dont le cœur a été meurtri, n’est déjà plus dans le slogan « Je suis Charlie », même si celui-ci contient et contiendra toujours notre tristesse pour les victimes et notre compassion pour leurs proches et leurs familles. Il est désormais ailleurs ; dans l’achat du numéro du 14 janvier, à la fois dans un soutien moral, mais aussi dans un soutien financier d’un journal qui doit se relever de cette épreuve. Pour ceux qui adhèrent au fond et à la forme de ce journal, l’achat régulier ou mieux l’abonnement est aussi une action solidaire avec eux.

Au-delà, la découverte de l’esprit « Charlie Hebdo » que la lecture d’au moins un numéro pourra produire chez certains d’entre nous sera aussi, à mon sens, une forme de soutien par une adhésion à leur engagement. Un éveil à l’esprit critique souhaitable dans une société aux programmes télévisuels abêtissants pour la grande majorité.

 

« Je suis Charlie » dépasse désormais les frontières du magazine satirique et une grande partie de la France, voir de l’Europe et même du Monde s’est emparé positivement de ce slogan pour représenter bien plus, un ensemble de valeurs :

 

* La démonstration par une foule bigarrée pour dire que nous ne plierons pas face à la terreur et que nous nous tiendrons ensemble face à cette adversité. Si un tombe, dix se lèveront. Nous sommes un.

* Notre soutien en la liberté de la presse. Un droit fondamental tant que celui-ci n’est pas utilisé comme une propagande pour la violence et qui plus est des attentats terroristes. Le paradoxe connu de la liberté qui doit avoir ses limites pour être Liberté.

* Notre opposition à l’obscurantisme de quelques natures qu’il soit, religieux (c’est hélas souvent le cas en particulier chez les extrémistes et autres fondamentalistes) ou politique. La science, la réflexion et le débat doivent nous éclairer. Pensons, ne subissons pas.

 

À ces valeurs, nous pouvons ajouter un autre message – même si je ne pense pas qu’il soit intrinsèque au slogan, mais seulement arrivé en complément nécessaire des événements : le refus de l’amalgame afin de rappeler que tout religieux n’est pas un fanatique, graine de terroriste ; ne pas confondre. C’est un message de tolérance opposé au racisme qui pourrait – hélas, se renforcer à la suite des événements.

 

En conclusion, toute personne qui aujourd’hui (et j’espère encore demain) se revendique « Je suis Charlie » n’est pas forcément « Je suis Charlie Hebdo », même si l’affliction pour les 12 morts et les victimes de ces attentats est prégnante et douloureuse pour tous. L’un n’exclut pas l’autre bien entendu, mais ils sont distincts.

 

Et moi, me direz-vous, où est-ce que je me place ? Question indiscrète, mais légitime au vu de mes pensées exposées ici.

Disons d’abord que je suis agnostique (au moins à 95%). Quant à ma foi, je suis bien incapable de vous dire si je crois ou non. Disons que j’aimerais pouvoir croire tant cela doit rendre la vie plus facile et l’avenir (la mort même) plus rassurant, mais que ma rationalité et ma réflexion s’opposent à toute croyance impalpable (c’est le propre de la Foi de croire sans preuve me direz-vous…). Bref difficile de me positionner ; disons incroyant à 80%. Cela ne m’empêche pas d’avoir des valeurs morales.

Somme toute, je connais peu Charlie Hebdo (un peu plus après avoir fouillé à droite et à gauche) et je ne pense pas être en totale adéquation avec la forme et l’impertinence utilisée parfois, même si je reconnais que celle-ci est d’utilité publique pour secouer nos consciences. J’admets la caricature et peux m’en amuser (là où j’apprécie moins une vulgarité trop marquée) même si parfois la notion d’irrespect me titille.

Je ne peux donc pas dire catégoriquement « Je suis Charlie Hebdo » ; par contre je me reconnais parfaitement dans le slogan « Je suis Charlie » tel que je l’ai défini d’où cet article et la dichotomie que j’ai voulu souligner.

 

Ma foi va donc à l’humain malgré les actes de certains. Avec l’union dont une grande partie du monde a fait montre suite aux attentats, je veux espérer en un avenir plus radieux…

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